it's my life ...
« Dieu est un fumeur de havane… » Gainsbourg.
Après l’office à l’église, qui était le plus grand théâtre que j’aie jamais fréquenté, et que je considère toujours comme tel car le public était toujours invité à participer en prenant l’hostie et le vin, symbole du corps et du sang de Jésus-Christ, Petie, Paulie et moi allions au catéchisme. Enrégimentés par sœur Margaret Mary, une grande femme robuste d’âge indéterminé –je n’ai jamais pu savoir si elle avait vingt-cinq ou cinquante-cinq ans–, les enfants s’asseyaient tout droits sur leur chaise et ne disaient mot à moins d’y avoir été invités. Sœur Margaret Mary portait un habit noir classique, des lunettes cerclées d’écaille, et la peau de son visage était aussi pâle que celle d’une épouse de Dracula. J’avais vu récemment le film de Tod Browning, Dracula, joué par Bela Lugosi, et je me souviens avoir pensé qu’il était curieux que Dieu et Dracula apprécient le même type de femme. Elle enseignait à la classe le baratin habituel, selon le mot de mort de mon père –qui n’était pas catholique–, concernant la manière dont Dieu avait créé le ciel et la terre, Adam et Eve, etc. Les enfants demandaient comment Dieu avait fait ceci ou cela, ce qu’il avait fait ensuite. J’avais levé la main pour demander : - Ma sœur, pourquoi Dieu a-t-il fait tout cela ? - Pourquoi Dieu a fait tout cela ? répéta-t-elle. - Tous ces trucs. - Vous n’existeriez pas, ni Peter, ni Paul, ni son fils unique, s’il ne vous avait pas créés, répondit sœur Margaret Mary. - Je sais bien ma sœur, mais pourquoi faire ? Je veux dire, quel intérêt avait-il à tout cela ? Sœur Margaret Mary me fixa pendant un long moment, et pour la première fois et unique, je pus distinguer des traces de couleur sur son visage. Puis elle détourna son attention de moi et continua comme si ma question ne méritait pas plus ample réponse Avant que nous quittions l’église ce jour-là, je vis sœur Margaret à parler à madame MacLaughlin. Elle me regardait pendant qu’elle parlait. Madame MacLaughlin hocha la tête et m’examina également.
Le matin du dimanche suivant, j’étais sur le point de quitter la maison lorsque Nancy, ma grand-mère, me demandait où est-ce que j’allais. - Chez les MacLaughlin, c’est l’école du dimanche, lui répondis-je. - Sœur Margaret Mary a dit à madame MacLaughlin qu’elle ne voulait plus de toi dans sa classe, poursuivit Nancy. Tu peux jouer dans ta chambre ou regarder la télévision jusqu’à ce que Petie et Paulie viennent à la maison. D’ailleurs, il neige à nouveau.
« A voir le monde de si haut, comme un damier, comme un lego… » Bashung.
J’ai eu un grand père extraordinaire. Un jour, il m’a emmené faire le tour de l’Europe. Dans le train, sur le trajet, j’étais avec sa bande d’amis vieillards et il y avait Mireille. Une femme exubérante, pleine de vie, avec un carré plongeant de cheveux roux sur un maquillage lourd. Elle m’a longuement accompagné dans la mienne et je crois que j’ai été grandement influencé par cette femme jusque dans mon comportement encore aujourd’hui. Cette excentricité, ce doit sûrement être d’elle que je la tiens. Elle me disait toujours « Tu as quelque chose Tom, tu as quelque chose en toi qui te saisit, mais tu ne veux pas le lâcher et le laisser s’exprimer. » Cette chose en moi, je ne l’ai toujours pas trouvé. Parfois je me dis que j’aurai aimé qu’elle soit ma mère. Quoiqu’il en soit, nous étions donc dans ce wagon en direction de Paris, en quittant Vienne. Elle était près de moi, à la cathédrale de Notre-Dame. C’était la première fois que je la voyais pour de vraie, j’en fus tout bouleversé. Ce fut aussi la seule fois où j’y mis les pieds. Pourtant ensuite, j’ai souvent eu l’occasion de retourner à la ville Lumière mais je ne voulais pas y aller. Lors de cet été 81, dans la cathédrale fraiche aux dalles d’échiquier, j’ai été pris d’une crise d’angoisse étrange. En général je m’endormais, mais cette fois ma conscience ne voulait pas me laisser sombrer dans le sommeil comme je l’aurais aimé. Les bras de Morphée, c’est la fuite. Je ne sais pas pourquoi j’ai paniqué, pourquoi j’ai eu peur. Je me suis alors agenouillé, Mireille en nage près de moi. J’ai joins mes doigts et j’ai prié. J’ai cru, à un moment, que la main ferme et froide de Dieu lui-même s’était posé sur le haut de mon crâne. Ma foi est inébranlable et je n’ai jamais eu de doute quant à l’existence de Dieu et son rôle. Simplement sur ses motivations, il a fait ça, il doit faire ça, mais pourquoi ? Dieu est les plus triste des êtres dont je n'ai jamais eu l'occasion d'entendre parler.
Je n’ai pas voulu accepter le fait que cette main sur ma tête, c’était en fait celle de Mireille.
« C’est les perdants qui gagnent… » Gainsbourg.
Tous les matins je me lève, tous les matins je prends ma sacoche en cuir marron pleine à craquer de feuilles et tous les matins, je prends la route de l’école. Il y a des gens, comme ça, qui acceptent d’y retourner alors qu’il n’y a encore pas si longtemps que ça, ils faisaient tout pour la quitter. Je n’ai pas toujours voulu être là-bas, à parler à ses enfants aux regards vitreux. Oh je m’amuse bien avec eux ! J’aime les enfants ! Sinon je n’y serais pas… mais non, au début moi, ce que je voulais, c’était écrire. Il est évident qu’on ne peut pas vivre de ça, sauf au Japon, à la limite. Mais je suis un perdant, un looser. Moi, j'écrivais. Depuis tout jeune, j'écrivais. Des fables, des poèmes, des histoires. Je ne peux pas avoir la prétention de parler de romans, sinon j'aurai trouvé de mes pages dans les librairies, la plus médiocre au moins. Mais je n'étais même pas capable de ça. Je n'étais pas ce que les gens attendaient de moi. Je ne racontais pas de belles histoires d'amour et ma plume n'avait pas la lourdeur d'Honoré, ni la beauté de celle de Victor. J'utilisais phrases faciles et peu de métaphores, je comptais sur la finesse de mon lecteur pour en voir toute la rondeur. Malheureusement, j'avais affaire à des idiots. Et je crois hélas, que j'en suis un aussi : j'ai tellement foi en l'homme et son intellect que j'oublie. Pour eux l'art n'est que l'artifice et les seules effluves agréables, après celles d'une femme, sont celles de l'or. Ils me prenaient pour un simple, à n'user d'aucune hyperbole et cherchent l'ostentatoire. Même l'Art si trompait. J'écrivais les histoires des gens, et ce ne sont pas les beaux mots qui les conteront. L'horreur d'une guerre, si vous voulez un exemple, n'est pas à raconter sur le ton léger des aristocrates protégés. Je n'étais pas lu et je l'avoue, cela m'affecte. L'écriture était ce qui dominait ma vie après mon petit garçon, et je finissais toujours à en parler au moins une fois dans une journée. Je promettais toujours, à tous ceux qui avaient la gentillesse et la patience de m'écouter, que j'y arriverai. Qu'un jour, mon nom sera lisible sur la reliure d'un livre. Mais pour le moment, j’apprenais l’histoire de nos ancêtres artistes aux poissons morts de Gustave Courbet.
« Annabelle Lee, pas un seul cheveux blanc... » Hubert Félix Thiéfaine.
Annabelle Lee avait été la mère d’un de mes élèves, aujourd’hui parti de l’école. Elle avait une peau couleur café au lait, des yeux charbonneux et de beaux cheveux chocolat. Elle était réactive, elle souriait, d'un sourire magnifique en illuminant son regard sombre. Je ne sais plus comment j'ai pu m'éprendre d'elle, je n'avais d'elle que des sourires, des regards et une écoute. Pas de nom. Mais j'étais jeune à l'époque... Au final, nous nous sommes aimés, mariés et le fait que son fils ait été un de mes élèves n’a pas gêné notre relation, à ce garçon et moi. Au contraire, je pense pouvoir me permettre de dire que nous nous aimons beaucoup. Mais je ne suis pas son père. Annabelle et moi étions un couple sans histoire, bien que sa famille ne m'aime pas, à part sa mère, une femme adorable. Ils s'étaient éloignés d'elle. Annabelle était malade, c'était la première chose que l'on remarquait en la voyant. Une maladie touchant la coordination des mouvements, ses membres partaient dans tous les sens, comme dans une danse. Une malade mentale, comme on l'appellerait aujourd'hui. Mais ça moi, je ne le voyais plus, j'étais amoureux.
J'étais seul aujourd'hui. Les médecins me l'ont dit, Annabelle ne vivrait pas longtemps avec la pathologie qu'elle avait. Le fils d’Annabelle en a été fort affecté, il est adulte maintenant, je ne le vois plus. Peut-être parce que ça me touche aussi, certainement autant que lui. Alexandre, notre unique enfant, âgé de 8 ans, avait hérité de cette maladie orpheline. Il en souffrait, les autres enfants ne voulaient pas le voir comme un gamin comme eux. J'avais oublié combien un enfant peut être aussi cruel. J'aimais mon fils comme un fou, je crois. J'ai toujours été hypersensible, et très anxieux. Je le surprotège c'est vrai. Mais je crois que même s'il n'avait pas été mon fils, Alexandre m'aurait fait pleurer. |